Abdelkader Djémaï est un écrivain bien connu à Vézelay. Il y fut le premier écrivain en résidence à la Maison Jules Roy. Christian Limousin nous parle de son dernier livre, Histoires de cochons aux éditions Michalon.
Cochon, mon
semblable, mon frère …
Abdelkader
Djémaï reçut la révélation des éminentes vertus du porc lors d’une Saint-Cochon
en Bigorre. Aussi le livre qu’il publie aujourd’hui est-il une tentative
plaisante de réhabilitation de cet animal souvent décrié pour sa saleté et sa
goinfrerie après avoir été suspecté par les religions du Livre (ses sabots
fendus ne sont-ils pas semblables à ceux du diable ?).
Né
à Oran, Djémaï part, comme souvent, de ses souvenirs d’enfance. Ici, ils lui
font souligner les ressemblances et les différences entre la fête musulmane de
l’Aïd (sacrifice du mouton) et la Saint-Cochon. Puis, il s’amuse du succès de
la charcuterie hallal, chante les charmes savoureux de quelques-unes des 450
spécialités charcutières de France (la grillade, le boudin, la merguez,
l’andouille si chère à Rabelais), applaudit à la résurrection du porc noir de
Bigorre, sauvé de la disparition, s’émerveille de la Pourcailhade, un concours
où il convient d’imiter le cri du cochon dans ses différentes activités. Alors,
franchouillard ce livre ? Nullement, l’auteur proposant, de sa plume
alerte, un véritable tour du monde du cochon : Chine, Barcelone, Inde,
Égypte, USA, etc. On peut dire que sa vision est planétaire. Il propose
également un voyage dans le temps, depuis Ulysse transformé en pourceau par
Circé jusqu’aux activités de l’artiste belge contemporain Wim Delvoye élevant
des cochons en Chine, les tatouant jeunes, exposant leur peau une fois morts.
Au
passage, Abdelkader Djémaï fustige le maire FN d’Hayange et les identitaires
pour avoir essayé de transformer le « paisible saucisson » en
« matraque idéologique » brandie contre les musulmans (ce chapitre a
fait l’objet d’une publication dans la page « débats » du Monde sous le titre « Les
indigestes cochonnailles du FN », dimanche 26 – lundi 27 octobre 2014). En
fait, le saucisson est largement international et le cochon rose, le produit de
multiples croisements.
Cette
lutte contre les idées reçues range Abdelkader Djémaï parmi les membres du fan club du cochon, aux
côtés de Jean-Claude Dreyfus, Dominique Fernandez, Jean-Pierre Coffe et Michel
Pastoureau. Lui qui fut le premier écrivain en résidence à la Maison Jules Roy,
cite ce mot de Jules Renard, voisin de Chitry-les-Mines : « Quel
animal admirable que le cochon ! Il ne lui manque que de savoir faire
lui-même son boudin. »
Non
seulement le cochon a évité à l’humanité de mourir de faim, mais c’est un
animal sensible et intelligent, proche de nous par ses qualités et ses défauts.
Cela n’a échappé ni à Winston Churchill (« Les chiens vous regardent avec
vénération. Les chats vous toisent avec dédain. Il n’y a que les cochons qui
vous considèrent comme leurs égaux. ») ni à George Orwell (cf. le rôle des
cochons dans Animal Farm), d’accord
pour une fois.
Si
le cochon a hérité d’autant d’insultes et de mépris, c’est en raison même de
cette proximité (de bien des points de vue, d’ailleurs) avec nous. Bien sûr,
les insultes persisteront (« tête de cochon », « gros
lard », « boudin »), mais ne convient-il pas de voir dans le mot
« cochon », « l’un des mots les plus vivants, les plus odorants
et les plus charnels, du dictionnaire » ? C’est à quoi s’emploie ce
livre modeste et savoureux.
Abdelkader Djémaï, Histoires de
cochons, éditions Michalon, 176 pages, 15€.
Christian Limousin