jeudi 29 janvier 2015

Le dernier livre d'Abdelkader Djémaï: Histoires de cochon chez Michalon

Abdelkader Djémaï est un écrivain bien connu à Vézelay. Il y fut le premier écrivain en résidence à la Maison Jules Roy. Christian Limousin nous parle de son dernier livre, Histoires de cochons aux éditions Michalon.                     




 Cochon, mon semblable, mon frère …

            Abdelkader Djémaï reçut la révélation des éminentes vertus du porc lors d’une Saint-Cochon en Bigorre. Aussi le livre qu’il publie aujourd’hui est-il une tentative plaisante de réhabilitation de cet animal souvent décrié pour sa saleté et sa goinfrerie après avoir été suspecté par les religions du Livre (ses sabots fendus ne sont-ils pas semblables à ceux du diable ?).
            Né à Oran, Djémaï part, comme souvent, de ses souvenirs d’enfance. Ici, ils lui font souligner les ressemblances et les différences entre la fête musulmane de l’Aïd (sacrifice du mouton) et la Saint-Cochon. Puis, il s’amuse du succès de la charcuterie hallal, chante les charmes savoureux de quelques-unes des 450 spécialités charcutières de France (la grillade, le boudin, la merguez, l’andouille si chère à Rabelais), applaudit à la résurrection du porc noir de Bigorre, sauvé de la disparition, s’émerveille de la Pourcailhade, un concours où il convient d’imiter le cri du cochon dans ses différentes activités. Alors, franchouillard ce livre ? Nullement, l’auteur proposant, de sa plume alerte, un véritable tour du monde du cochon  : Chine, Barcelone, Inde, Égypte, USA, etc. On peut dire que sa vision est planétaire. Il propose également un voyage dans le temps, depuis Ulysse transformé en pourceau par Circé jusqu’aux activités de l’artiste belge contemporain Wim Delvoye élevant des cochons en Chine, les tatouant jeunes, exposant leur peau une fois morts.
            Au passage, Abdelkader Djémaï fustige le maire FN d’Hayange et les identitaires pour avoir essayé de transformer le « paisible saucisson » en « matraque idéologique » brandie contre les musulmans (ce chapitre a fait l’objet d’une publication dans la page « débats » du Monde sous le titre « Les indigestes cochonnailles du FN », dimanche 26 – lundi 27 octobre 2014). En fait, le saucisson est largement international et le cochon rose, le produit de multiples croisements.
            Cette lutte contre les idées reçues range Abdelkader Djémaï  parmi les membres du fan club du cochon, aux côtés de Jean-Claude Dreyfus, Dominique Fernandez, Jean-Pierre Coffe et Michel Pastoureau. Lui qui fut le premier écrivain en résidence à la Maison Jules Roy, cite ce mot de Jules Renard, voisin de Chitry-les-Mines : « Quel animal admirable que le cochon ! Il ne lui manque que de savoir faire lui-même son boudin. »
            Non seulement le cochon a évité à l’humanité de mourir de faim, mais c’est un animal sensible et intelligent, proche de nous par ses qualités et ses défauts. Cela n’a échappé ni à Winston Churchill (« Les chiens vous regardent avec vénération. Les chats vous toisent avec dédain. Il n’y a que les cochons qui vous considèrent comme leurs égaux. ») ni à George Orwell (cf. le rôle des cochons dans Animal Farm), d’accord pour une fois.
            Si le cochon a hérité d’autant d’insultes et de mépris, c’est en raison même de cette proximité (de bien des points de vue, d’ailleurs) avec nous. Bien sûr, les insultes persisteront (« tête de cochon », « gros lard », « boudin »), mais ne convient-il pas de voir dans le mot « cochon », « l’un des mots les plus vivants, les plus odorants et les plus charnels, du dictionnaire » ? C’est à quoi s’emploie ce livre modeste et savoureux.

Abdelkader Djémaï, Histoires de cochons, éditions Michalon, 176 pages, 15€.


                                                                                                                       Christian Limousin