dimanche 20 mars 2016

Le dernier livre d'une invitée du Grand Rendez-Vous: Claude Pujade Renaud


« Tout dort paisiblement sauf l’amour » Actes Sud 2016
 
 
Claude Pujade Renaud n’est pas qu’un écrivain de l’intime, elle explore une époque, elle scrute les coulisses et les arrière-plans d’un moment de l’Histoire. C’est un écrivain rare, peu présente dans les medias, mais dont chaque livre est attendu ardemment par ses lecteurs fidèles. Et elle en a beaucoup…

Ils se régalent à l’avance d’une écriture limpide et tendue, d’un thème fort et d’un environnement historique et culturel étranger souvent à notre temps.
CPR donne à penser. Elle incite à reprendre sur ses traces l’immense travail de recherche et de documentation qui entoure chaque livre.

Le thème de son dernier ouvrage, publié comme la plupart des autres chez Actes Sud,Tout dort paisiblement sauf l’amour  reprend quelque peu celui du dernier Dans l’ombre et la lumière (Actes Sud 2013) : une femme déchirée par une rupture amoureuse, qui sonne comme une répudiation, avec un homme connu et vénéré, revisite son passé et l’épreuve traversée. Mais si l’une demeure dans la souffrance, l’autre se reconstruit.

L’homme aimé, dans les deux ouvrages, a choisi de rompre pour rester fidèle à sa vocation, la conversion au christianisme pour Augustin d’Hippone, l’écriture et la philosophie pour Soren Kirkegaard.

Car il s’agit bien dans ce livre du couple Régine Olsen-Kirkegaard.

Après les souffrances et les supplications qui ont suivi la rupture brutale en 1841, la jeune femme choisit de se marier avec  son précepteur. Elle le suit dans les Antilles danoises où il vient d’être nommé gouverneur. C’est là, en 1855, qu’elle apprend la mort de son premier fiancé. Le livre commence. Comme un journal intime qui devient peu à peu une lettre à Soren. Calmement,  mais avec détermination, la jeune femme entreprend de relire ces années douloureuses. Elle ré-ouvre les livres du jeune philosophe et traque les signes prémonitoires. Elle essaie de comprendre, argumente, se défend… D’autres voix se font entendre et éclairent le drame, celle du mari, fin observateur des émotions de sa jeune épouse et bon connaisseur de l’œuvre de l’écrivain, celle d’un neveu, d’une cousine qui cherche à retracer l’histoire de cette famille Kirkegaard, mélancolique et d’une religiosité maladive… Le destin semble y peser comme une malédiction et nombreux sont les nœuds qui entravent l’élan des uns et des autres, jusqu’à la folie.

"Tout dort paisiblement, sauf l’amour" qui demeure pourtant après tant d'années entre cette femme rangée et ce philosophe éperdu, existentialiste avant l’heure, clamant la nécessité de choisir sa vie, de s’accomplir et empêtré dans ses contradictions et maladresses, mal à l’aise dans sa vie comme dans son corps.

Régine n’est pas l’Elissa d’Augustin, ni la Bovary ni l’Anna Karénine de son temps. Sa douceur et sa sérénité s’allient à sa force de caractère et son goût pour la vie qui lui font surmonter sa première douleur.

Le livre de Claude Pujade Renaud n’est pas seulement un beau récit des liens qui unissent par-delà la mort Régine et Soren dans un XIXè bourgeois, troublé par les penseurs qui commencent à bouleverser son bel ordre. Il décrit admirablement la fin d’un monde. C’est aussi plus largement un livre sur les ruptures, celles que tout lecteur a vécues, qu’il invite à revisiter à son tour. Ne serait-ce que pour leur survivre et vérifier le chemin parcouru…

 
L’auteur a enseigné la danse et l’expression corporelle dans le cadre de la formation des professeurs d’éducation physique. Elle a publié son premier roman La Ventriloque en 1978 (éditions des femmes).  Depuis, elle est l’auteur de plusieurs romans et recueils de nouvelles, de  poésies, remportant de nombreux prix et essentiellement publiés chez Actes Sud. Mais tout récemment, elle a publié des nouvelles, Sans tambour ni trompette, aux éditions  Rhubarbe d’Alain Kewès. Elle a aussi préfacé un des premiers livres de notre ami JP Cannet, « La lune chauve » aux éditions L’Aube et L’instant même » 1991.

Elle est invitée et attendue au Grand Rendez-Vous de cette année, le 1er octobre, à la Maison Jules Roy.

Geneviève Pascaud