lundi 5 septembre 2016

In memoriam Michel Butor

Michel Butor nous a quittés récemment.
Il était venu à Vézelay à la Fondation Zervos en 2002. Cette visite est restée très vivace pour ceux qui ont eu la chance de pouvoir y assister.
Nous nous devions de rendre hommage à ce grand écrivain. Qui mieux que Christian Limousin pouvait écrire quelque chose, lui qui fut un acteur de ce mémorable séjour de Butor à Vézelay.








































                                     In memoriam Michel Butor (1926-2016)


 


Une œuvre-monde


Avec sa barbe de patriarche, sa sempiternelle salopette-faite-sur-mesure, ses yeux rieurs, émerveillés, avec sa gourmandise de tout, sa production régulière de livres et de plaquettes, on avait fini par le croire immortel… Michel Butor s’est éteint à l’hôpital de Contamine-sur-Arve le 24 août.


Parler de son œuvre, à la fois grandiose et diverse, c’est ouvrir immédiatement plusieurs chapitres de la littérature française du XXème siècle. « Nouveau romancier », essayiste, poète, il toucha à la plupart des genres littéraires pour les subvertir, les détourner. J’ai toujours admiré son extraordinaire capacité à inventer et à faire fonctionner des « agencements textuels » nouveaux. Il regardait cependant la littérature du passé (Montaigne comme Jules Verne, Flaubert comme Hugo, etc) mais pour y jeter un oeil neuf et malicieux. Honte à l’université française qui ne sut pas l’accueillir ! Honte au Ministère de la Culture qui ignore qu’il fut Prix Renaudot avec La Modification – et non La Consolidation !


Il s’est toujours tenu « à l’écart » (nom de sa maison-bibliothèque-atelier à Lucinges en Haute-Savoie) des mondanités, des honneurs comme des compromissions. Pleinement dans son œuvre, il a tenté des greffes, jeté des ponts multiples vers les arts plastiques, la musique, l’opéra, la radio, etc.


De lui, je retiendrai surtout ses grands livres « inclassables » magnifiquement mis en espace par Massin chez Gallimard : Mobile (1962), Boomerang (1978), Gyroscope (1996). Livres expérimentaux, encyclopédiques, ouverts sur le monde, ils constituent de puissants pôles d’inspiration pour ce que j’essaie d’écrire.


 


Un week-end en mai 2002


Betty Buffington, qui l’avait connu à la grande époque du Club Français du Livre, l’invita à exposer quelques-uns de ses amis peintres (Jiri Kolar, Gregory Masurovsky, Claude Viallat, Georges Badin, etc) à la Maison Zervos de la Goulotte (Vézelay). C’est ainsi que je passai un week-end avec lui et Marie-Jo, son épouse (disparue en 2010), week-end chargé mais cependant extraordinairement léger. Une foule énorme au vernissage du samedi soir, un public passionné, conquis par notre riche dialogue du dimanche matin. Simone Galtier le fit citoyen d’honneur de Vézelay.


On n’en resta bien sûr pas là. Butor réalisa avec Gregory Masurovsky une estampe manuscrite (16 exemplaires) : « La Basilique au retour ». En voici les derniers vers :


nous avons décidé d’offrir à la Madeleine


toutes les coquilles que nous avions glanées


au long des grèves et des chemins


afin de réaliser des reliure de nacre


pour envelopper son apocalypse


L’année suivante, l’Association « Fondation Zervos » exposait des dessins et des gravures de Gregory Masurovsky, américain de Paris, son ami et son complice depuis quatre décennies.


La mort ne défait pas complètement cette chaîne de l’amitié fondée sur « le dialogue des arts ».


 


                                                                                                                        Christian Limousin