Notre ami Jean-Michel Delacomptée, invité l’an passé à notre
Grand Rendez-Vous, pour son Ecrire
pour quelqu’un (Coll L’un et l’autre chez Gallimard) et Adieu Montaigne chez Fayard,
nous a fait parvenir son dernier livre particulièrement jubilatoire, Lettre
de consolation à un ami écrivain, publié chez Robert Laffond.
C’est un manifeste débordant d’ironie. Une interrogation sur la littérature contemporaine et un cri d'alarme, sous forme d’une lettre d’un écrivain à un autre écrivain ami, qui bien que régulièrement publié, se désespère d’obtenir la moindre critique et visibilité pour ses livres. Il vient d’annoncer sa décision de se retirer de la scène littéraire et de cesser d’écrire. La lettre vise à le faire revenir sur ce choix. Elle cherche aussi à comprendre pourquoi des œuvres de belle facture restent confinées dans l’ombre alors que des textes médiocres connaissent tapage et succès et s'arrogent l'appellation de littérature.
Lettre à un autre ? Lettre à soi-même, qui sait ?
Plaidoyer pro domo assurément, et éloge d’une écriture soignée, d’une belle
langue, d’une littérature exigeante, même si elle reste minoritaire en raison
du fonctionnement du « système » que forment éditeurs, medias, attribution
des prix et majorité des lecteurs . Pamphlet incisif mais aussi témoignage
d’une foi profonde dans les vertus du beau langage, du style, l’ouvrage, fortement étayé
par la grande culture classique et contemporaine de son auteur, traite avec intelligence et élégance des
mystères de l’acte d’écrire, des beautés de notre langue, de l’évolution du
roman depuis le XVIè et de la difficile
question de discerner dans tout ce qui est publié et promu à grands cris ce qui
a de la valeur et ce qui n‘en a pas, mais tient néanmoins le haut du pavé et
les têtes de gondoles.
Pour JMD, la vraie littérature a presque entièrement disparu
de la scène littéraire au profit de livres où priment le réel, l’autofiction,
le document vécu, le déballage affectivo-sexuel, bâclés ou construits comme se
font les séries américaines, avec efficacité, maitrise de l’action et réalisme
des faits. Où sont les charmes de
l’imaginaire ? « C’est
un lâcher-tout qui pressé de s’affirmer, s’est débarrassé de la langue
richement élaborée, considérée comme une entrave une boursouflure, une masse de
graisse. »
Le fait que les gros tirages permettent aux éditeurs de
prendre des risques avec des livres plus difficiles ne rassure pas
notre ami qui craint qu’à terme, cette littérature d' écrivains authentiques « pour qui chaque phrase à inventer est une
mer à franchir, tout paragraphe qui se respecte est une odyssée » ne
disparaisse définitivement …
Brillant, caustique, stimulant, plein de thèmes de
réflexion, le livre est aussi une occasion de rire et de sourire tant les
traits d’humour portent ! Le déboulonnage d’auteurs -tiroirs caisse portés aux nues par une critique et
des medias complaisants, récompensés injustement par les prix littéraires, est
tout à fait jubilatoire. Les derniers livres de Christine Angot et d’Annie
Ernaux sont dépecés avec ironie et malice.
Et comment ne pas se réjouir en voyant évoquer in fine notre
modeste association vézelienne comme symbole du petit reste de lecteurs
qui résiste encore aux grands vents du nouveau
conformisme.