jeudi 19 février 2015

La chronique de Christian Limousin : Michael Holland accompagne et éclaire la pensée de Blanchot

           

            Écrire sur Maurice Blanchot (1907-2003) est considéré comme difficile, voire risqué, et Bernard Noël a pu dire qu’ « on ne saurait parler de [lui] qu’en le recopiant ». Certains cependant affrontent son œuvre et sa pensée : Michael Holland est incontestablement de ceux-là.
           
            J’ai connu Mike en 1975, il y a tout juste quarante ans, alors que je préparais – avec toute l’inconscience de la jeunesse – les deux numéros que la revue Gramma entendait consacrer à Blanchot. Si ces numéros sont devenus « historiques », c’est en grande partie grâce à Mike qui y donna, avec Patrick Rousseau, la première lecture des textes politiques que Blanchot avait signés avant-guerre dans des publications appartenant à la galaxie de ce que Loubet del Bayle a appelé autrefois « le non-conformisme des années 30 » et Michel Surya, récemment, le « nationalisme fascisant français ».
            Depuis, Mike est devenu, de part et d’autre de la Manche, un spécialiste incontestable, incontournable de Blanchot. On lui doit entre autres la première bibliographie de ses écrits (1975 et 1981). Il est le traducteur de ses Chroniques littéraires du Journal des Débats et un des fondateurs et des animateurs des Cahiers Maurice Blanchot que publient, à Dijon, les Presses du réel.



            Le recueil d’articles qu’il vient de publier chez Hermann rassemble la plupart de ses textes écrits directement en français. Ces quatorze études sont regroupées en cinq parties : Fiction, Politique, Contre le nihilisme, Rencontres, Envoi. « Rencontres » reprend notamment les deux interventions que Mike avait faites à mon invitation à la maison Zervos de la Goulotte : l’une (« Bataille, Blanchot et « le dernier homme ») en 2002 dans le cadre d’une journée Bataille des Amis de Vézelay (dont Jean-Claude Bécane, alors président, avait eu l’idée), l’autre (« Parole(s) de pugiliste. Entre Char et Blanchot ») en 2007 à l’occasion du Centenaire de René Char célébré par l’Association-Fondation Zervos. C’est un vrai bonheur que de pouvoir lire ici les textes de ces interventions que je suis fier d’avoir suscitées. Je voudrais remercier Mike pour la haute tenue des propos développés devant nous.
           
            Écrire sur Blanchot constitue pour M. Holland un « défi » qu’il essaie de relever depuis quatre décennies. Dans la courte préface écrite à la troisième personne, il confie :
            « Longtemps il a semblé à l’auteur de ces essais qu’écrire un livre sur Maurice Blanchot fût au-delà de ses pouvoirs. […] Certes, il écrivait, il écrit toujours. Mais à chaque coup, ni intention ni mauvaise volonté n’y jouant, il subissait une espèce de contrainte : à la réflexion qui devait normalement ouvrir un horizon et donner champ libre à sa pensée, se substituait un laborieux piétinement ; à peine tracé, l’horizon se renversait pour devenir un seuil incertain, qu’il fallait passer et repasser sans jamais être sûr d’avoir commencé à écrire. Avec le temps, il a dû se rendre à l’évidence : en écrivant, il ne s’éloignerait jamais de ce seuil. »
            Les deux principaux écueils rencontrés consistent à « parler dans le vide » et à « s’enliser dans une lecture interminable ». Peu à peu, cependant, une tâche plus modeste s’est profilée qui consistait à faire le deuil d’un livre qui prétendrait tout expliquer de Blanchot, à se retirer « en-deçà de toute réflexion de synthèse dans un avant dire » fragmenté en études particulières destinées à « mettre à jour l’itinéraire d’une pensée tout à fait originelle, qui aura traversé le XXe siècle à la fois comme une fêlure et comme un fil conducteur. »

            Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire ? Trois exemples.

            En 1942, Blanchot publiait un étrange roman mystérieusement intitulé Aminadab. « Qui est l’Aminadab de Blanchot ? » s’interroge Mike Holland qui se lance aussitôt dans une enquête très serrée où l’on croise, entre autres, la Bible, saint Jean de la Croix, Grégoire de Nysse, saint Thomas d’Aquin.
            Dans une autre étude, il étudie la présence de Nadja d’André Breton dans L’Arrêt de mort, récit de Blanchot publié en 1948, et qualifie cette rencontre de deux chefs d’œuvre de « piégée ».
            Une troisième est centrée sur « Blanchot et la sortie du nihilisme », non pas en général, mais concrètement dans ses Chroniques littéraires du Journal des Débats dont Mike est un très fin connaisseur.

            Déjà dans Gramma, à propos des textes controversés d’avant-guerre, Mike Holland n’endossait pas l’habit de procureur pour juger Blanchot. Son but était d’essayer de le comprendre – ce qui ne veut pas dire le justifier. Il a continué dans cette voie empathique qui consiste à accompagner et à éclairer une pensée difficile dans ses différentes inflexions et ré-orientations.

                                                                                                                       Christian Limousin

Michael HOLLAND, Avant dire / Essais sur Maurice Blanchot, coll. « Le bel aujourd’hui » (dirigée par Danielle Cohen-Lévinas), éditions Hermann, Paris, 396 pages, 35€.