Écrire
sur Maurice Blanchot (1907-2003) est considéré comme difficile, voire risqué,
et Bernard Noël a pu dire qu’ « on ne saurait parler de [lui] qu’en
le recopiant ». Certains cependant affrontent son œuvre et sa
pensée : Michael Holland est incontestablement de ceux-là.
J’ai
connu Mike en 1975, il y a tout juste quarante ans, alors que je préparais –
avec toute l’inconscience de la jeunesse – les deux numéros que la revue Gramma entendait consacrer à Blanchot.
Si ces numéros sont devenus « historiques », c’est en grande partie
grâce à Mike qui y donna, avec Patrick Rousseau, la première lecture des textes
politiques que Blanchot avait signés avant-guerre dans des publications appartenant
à la galaxie de ce que Loubet del Bayle a appelé autrefois « le
non-conformisme des années 30 » et Michel Surya, récemment, le
« nationalisme fascisant français ».
Depuis,
Mike est devenu, de part et d’autre de la Manche, un spécialiste incontestable,
incontournable de Blanchot. On lui doit entre autres la première bibliographie
de ses écrits (1975 et 1981). Il est le traducteur de ses Chroniques littéraires du Journal
des Débats et un des fondateurs et des animateurs des Cahiers Maurice Blanchot que publient, à Dijon, les Presses du
réel.
Le
recueil d’articles qu’il vient de publier chez Hermann rassemble la plupart de
ses textes écrits directement en français. Ces quatorze études sont regroupées
en cinq parties : Fiction, Politique, Contre le nihilisme, Rencontres,
Envoi. « Rencontres » reprend notamment les deux interventions que
Mike avait faites à mon invitation à la maison Zervos de la Goulotte :
l’une (« Bataille, Blanchot et « le dernier homme ») en 2002
dans le cadre d’une journée Bataille des Amis de Vézelay (dont Jean-Claude
Bécane, alors président, avait eu l’idée), l’autre (« Parole(s) de
pugiliste. Entre Char et Blanchot ») en 2007 à l’occasion du Centenaire de
René Char célébré par l’Association-Fondation Zervos. C’est un vrai bonheur que
de pouvoir lire ici les textes de ces interventions que je suis fier d’avoir
suscitées. Je voudrais remercier Mike pour la haute tenue des propos développés
devant nous.
Écrire
sur Blanchot constitue pour M. Holland un « défi » qu’il essaie de
relever depuis quatre décennies. Dans la courte préface écrite à la troisième
personne, il confie :
« Longtemps
il a semblé à l’auteur de ces essais qu’écrire un livre sur Maurice Blanchot
fût au-delà de ses pouvoirs. […] Certes, il écrivait, il écrit toujours. Mais à
chaque coup, ni intention ni mauvaise volonté n’y jouant, il subissait une
espèce de contrainte : à la réflexion qui devait normalement ouvrir un
horizon et donner champ libre à sa pensée, se substituait un laborieux
piétinement ; à peine tracé, l’horizon se renversait pour devenir un seuil
incertain, qu’il fallait passer et repasser sans jamais être sûr d’avoir
commencé à écrire. Avec le temps, il a dû se rendre à l’évidence : en
écrivant, il ne s’éloignerait jamais de ce seuil. »
Les
deux principaux écueils rencontrés consistent à « parler dans le
vide » et à « s’enliser dans une lecture interminable ». Peu à
peu, cependant, une tâche plus modeste s’est profilée qui consistait à faire le
deuil d’un livre qui prétendrait tout expliquer de Blanchot, à se retirer
« en-deçà de toute réflexion de synthèse dans un avant dire » fragmenté en études particulières destinées à
« mettre à jour l’itinéraire d’une pensée tout à fait originelle, qui aura
traversé le XXe siècle à la fois comme une fêlure et comme un fil
conducteur. »
Concrètement,
qu’est-ce que cela veut dire ? Trois exemples.
En
1942, Blanchot publiait un étrange roman mystérieusement intitulé Aminadab. « Qui est l’Aminadab de
Blanchot ? » s’interroge Mike Holland qui se lance aussitôt dans une
enquête très serrée où l’on croise, entre autres, la Bible, saint Jean de la Croix, Grégoire de Nysse, saint Thomas
d’Aquin.
Dans
une autre étude, il étudie la présence de Nadja
d’André Breton dans L’Arrêt de mort,
récit de Blanchot publié en 1948, et qualifie cette rencontre de deux chefs
d’œuvre de « piégée ».
Une
troisième est centrée sur « Blanchot et la sortie du nihilisme », non
pas en général, mais concrètement dans ses Chroniques
littéraires du Journal des Débats
dont Mike est un très fin connaisseur.
Déjà
dans Gramma, à propos des textes
controversés d’avant-guerre, Mike Holland n’endossait pas l’habit de procureur
pour juger Blanchot. Son but était d’essayer de le comprendre – ce qui ne veut
pas dire le justifier. Il a continué dans cette voie empathique qui consiste à
accompagner et à éclairer une pensée difficile dans ses différentes inflexions
et ré-orientations.
Christian Limousin
Michael HOLLAND, Avant dire / Essais sur Maurice Blanchot,
coll. « Le bel aujourd’hui »
(dirigée par Danielle Cohen-Lévinas), éditions Hermann, Paris, 396 pages, 35€.