Un proche de RVLE, le
journaliste Johan-Alex Lander, du journal Le
Chronoscopia, s'entretient avec lui:
Johan-Alex
Lander : Commençons par la question la plus banale qui soit, mais je n’en
vois pas d’autres pour commencer : qu’en est-il de la ou des source(s) de
votre roman « Temps restant estimé » ?
Dominique Drouin : En matière littéraire, la
préhistoire d’un livre, ses sources sont si ténues qu’il est impossible de les
identifier. Quelque chose sourd du côté d’un thème qui se met à miroiter. Ce
sont plutôt des impulsions initiales qu’on sent vouloir se traduire en désir
d’écrire ; il faudra les passer au crible du conscient pour en faire un
projet ; s’assurer que les fondations s’enracinent en soi et promettent un
développement.
Deux axes se sont alors dégagés et ont encadré ce sujet
que j’avais, finalement, à cœur de traiter littérairement : deux aiguilles
à tricoter le récit, si vous voulez.
L’une procédait du constat, fait à plusieurs reprises au
cours de mes lectures, d’une grave insuffisance de culture scientifique chez
les écrivains. La plupart ne savent pas dans quel univers ils sont. Comme si se
perpétuait en toute innocence cette étanchéité scolaire entre les sciences
dites exactes et les humanités.
L’autre, c’est cette fascination que j’ai pour la
mécanique des objets célestes, mécanique très simple au demeurant, mais
potentiellement si fragile qu’on peut s’étonner, s’éblouir du fait qu’elle
dure, ou, si l’on a un tempérament anxieux, s’inquiéter de sa précarité, dont
tout dépend pourtant. La science ne fait d’ailleurs que ça : mettre au
jour la précarité et la contingence de l’édifice.
JAL :
Ce sujet qui vous tenait à cœur a cette spécificité, effectivement, que le
cadre en est ample : une perturbation de cette mécanique céleste, et ces
conséquences incertaines. On pense un peu au film de Lars Von Trier, Melancholia.
DD :
Mon livre avait déjà ses fondations et ses grandes lignes quand, presque par
acquit de conscience, j’ai vu ce film extraordinaire et qui développe une
superbe métaphore… Vous parlez de l’ampleur du cadre de mon livre. Je me sens à
l’étroit dans la petitesse qui va croissant, si je puis dire, dans les sujets
abordés de nos jours par la littérature. Dans ces petites, toute petites
histoires domestiques, le couple, les enfants, les amours, les séparations, le
corps, la mort, la maladie, le sexe, le meurtre, le fric, le moi et ses
moignons sont les thèmes rabachés dans des formes qui dépassent rarement le
cocon à l’abri de quoi on s’isole peureusement du cosmique, dans une écriture à
l’avenant, pauvre et sans originalité, sans vision ; en cela, au moins, la
cohérence entre fond et forme est assurée ! Mais c’est lassant, non ?
Le nombril est le trou noir de la galaxie revendiquée par chaque auteur. On
s’englue dans un narcissime anthropocentrique. Tout ça ressasse et étouffe.
J’avais
besoin d’un peu d’air, de vaste, de respirer, de rappeler la contingence de
tout ce qui est dans le monde, lui même contingent. Parler du macrocosme qui
nous contient et nous pétrit. Relativiser ce que nous sommes…
Mais,
ce n’est pas un roman de science-fiction : on n’y trouve pas les codes
habituels du genre, la quincaillerie futuriste en est quasi absente, les
canevas rhétoriques de la S.F. n’y sont pas non plus. La fiction scientifique
plausible qui est développée dans mon livre n’est qu’un arrière-plan, ou plutôt
un champ dans lequel s’animent, vainement, les personnages.
JAL :
Vous semblez prendre un malin plaisir à rappeler qu’il existe un monde
extérieur qui échappe aux actions humaines. On pense aux grands problèmes
d’environnements : dans votre livre, la Terre se réchauffe.
DD : Le réchauffement climatique actuel, il n’est évidemment
pas question de le nier. Mais ce n’est pas le sujet de mon livre parce que,
justement, le réchauffement dont vous parlez est de responsabilité humaine.
L’effet sur le climat de l’émission humaine croissante des gaz à effet de serre
n’est plus une question, c’est un fait. Le parallèle s’arrête donc là : au
seuil de la responsabilité. Il est d’ailleurs paradoxal qu’il s’en revendique
autant dans une époque, la nôtre, qui laissera sans doute dans l’histoire le
souvenir d’un âge infantile, d’une régression massive vers des conceptions
puériles de la vie. Encore qu’il faille, là encore, faire le départ entre la
réalité du terrain, et celle passée aux prismes idéologiques des différents
médias.
Or,
l’adulte est, selon moi, l’âge auquel nous comprenons que le monde dans lequel,
infimes, nous sommes plongés n’a cure des désirs et des peurs humaines.
JAL :
Pourtant, il y a des personnages dans votre roman et, en plus des sept ou huit
personnages vivants, il y a la foule sur laquelle les premiers se détachent. Un
peu comme le chœur dans la tragédie antique.
DD : Ah oui ?.. Les Grecs avaient une grande
intuition du Cosmos (le mot même est grec), intuition qui a été perdue au fil
de l’histoire occidentale. Je vous remercie de faire allusion à la tragédie
grecque car il y a un peu de ça, en effet. Je vous laisse d’ailleurs chercher
de quels noms de divinités antiques « Pondoise » et « Phiam
Tiret » sont des anagrammes.
JAL :
Je vais m’y atteler après l’entrevue… Dans votre livre, il y a cet écrivain
mort, grand-père admiré d’un des personnages. La figure du grand-père est
d’ailleurs prégnante dans vos livres. Pouvez-vous nous dire pourquoi
faites-vous de l’aïeul une figure si récurrente ?
DD :
Non… Je ne peux pas le dire. Je peux juste revendiquer une réflexion sur le
statut de la littérature qui, en effet, traverse le livre, réflexion qui est
portée par cet aïeul mort. A quel degré faut-il la prendre ; à quel degré
nous chauffe-t-elle, la littérature ?
JAL : Je reviens sur la culture scientifique, que
vous jugez insuffisante chez bien des gens de lettres. On peut pourtant
largement douter de ce décrochement orbital de la Terre, qui fait pourtant le
fil conducteur de votre livre et dont vous dites qu’il est plausible.
DD : Il est plausible, et le mécanisme de ce
décrochement se décrit scientifiquement. Je vous renvoie à la notion, somme
toute assez simple, toute newtonienne, de vitesse de satellisation. Le reste,
ce que la science ne peut assumer, c’est à la littérature de le faire…
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Pour plus de précisions sur le roman de D.D., voir le site de l'auteur:
Scriptosum éditions:
http://www.scriptosum.fr/