« Tout dort paisiblement sauf l’amour » Actes Sud 2016
Claude Pujade Renaud n’est pas qu’un écrivain de l’intime, elle
explore une époque, elle scrute les coulisses et les arrière-plans d’un moment de l’Histoire. C’est un écrivain rare, peu présente dans les medias, mais dont chaque
livre est attendu ardemment par ses lecteurs fidèles. Et elle en a beaucoup…
Ils se régalent à l’avance d’une écriture limpide et tendue,
d’un thème fort et d’un environnement historique et culturel étranger souvent à
notre temps.
CPR donne à penser. Elle incite à reprendre sur ses traces
l’immense travail de recherche et de documentation qui entoure chaque livre.
Le thème de son dernier ouvrage, publié comme la plupart des
autres chez Actes Sud,Tout dort paisiblement sauf l’amour
reprend quelque peu celui du dernier Dans l’ombre et la
lumière (Actes Sud 2013) : une femme déchirée par une rupture
amoureuse, qui sonne comme une répudiation, avec un homme connu et vénéré,
revisite son passé et l’épreuve traversée. Mais si l’une demeure dans la
souffrance, l’autre se reconstruit.
L’homme aimé, dans les deux ouvrages, a choisi de rompre
pour rester fidèle à sa vocation, la conversion au christianisme pour Augustin d’Hippone, l’écriture et la
philosophie pour Soren Kirkegaard.
Car il s’agit bien dans ce livre du couple Régine
Olsen-Kirkegaard.
Après les souffrances et les supplications qui ont suivi la
rupture brutale en 1841, la jeune femme choisit de se marier avec son précepteur. Elle le suit dans les Antilles danoises où il vient d’être nommé
gouverneur. C’est là, en 1855, qu’elle apprend la mort de son premier fiancé.
Le livre commence. Comme un journal intime qui devient peu à peu une lettre à
Soren. Calmement, mais avec
détermination, la jeune femme entreprend de relire ces années douloureuses.
Elle ré-ouvre les livres du jeune philosophe et traque les signes
prémonitoires. Elle essaie de comprendre, argumente, se défend… D’autres voix
se font entendre et éclairent le drame, celle du mari, fin observateur des
émotions de sa jeune épouse et bon connaisseur de l’œuvre de l’écrivain, celle
d’un neveu, d’une cousine qui cherche à retracer l’histoire de cette famille
Kirkegaard, mélancolique et d’une religiosité maladive… Le destin semble y peser
comme une malédiction et nombreux sont les nœuds qui entravent l’élan des uns
et des autres, jusqu’à la folie.
"Tout dort paisiblement, sauf l’amour" qui demeure pourtant après tant d'années entre cette
femme rangée et ce philosophe éperdu, existentialiste avant l’heure, clamant la
nécessité de choisir sa vie, de s’accomplir et empêtré dans ses contradictions
et maladresses, mal à l’aise dans sa vie comme dans son corps.
Régine n’est pas l’Elissa d’Augustin, ni la Bovary ni l’Anna
Karénine de son temps. Sa douceur et sa sérénité s’allient à sa force de
caractère et son goût pour la vie qui lui font surmonter sa première douleur.
Le livre de Claude Pujade Renaud n’est pas seulement un beau
récit des liens qui unissent par-delà la mort Régine et Soren dans un XIXè
bourgeois, troublé par les penseurs qui commencent à bouleverser son bel ordre. Il
décrit admirablement la fin d’un monde. C’est aussi plus largement un livre sur
les ruptures, celles que tout lecteur a vécues, qu’il invite à revisiter à son
tour. Ne serait-ce que pour leur survivre et vérifier le chemin parcouru…
Elle est invitée et attendue au Grand Rendez-Vous de cette
année, le 1er octobre, à la Maison Jules Roy.
Geneviève Pascaud
Geneviève Pascaud