Il était venu à Vézelay à la Fondation Zervos en 2002. Cette visite est restée très vivace pour ceux qui ont eu la chance de pouvoir y assister.
Nous nous devions de rendre hommage à ce grand écrivain. Qui mieux que Christian Limousin pouvait écrire quelque chose, lui qui fut un acteur de ce mémorable séjour de Butor à Vézelay.
In memoriam Michel Butor (1926-2016)
Une œuvre-monde
Avec
sa barbe de patriarche, sa sempiternelle salopette-faite-sur-mesure, ses yeux
rieurs, émerveillés, avec sa gourmandise de tout, sa production régulière de livres
et de plaquettes, on avait fini par le croire immortel… Michel Butor s’est
éteint à l’hôpital de Contamine-sur-Arve le 24 août.
Parler
de son œuvre, à la fois grandiose et diverse, c’est ouvrir immédiatement
plusieurs chapitres de la littérature française du XXème siècle. « Nouveau
romancier », essayiste, poète, il toucha à la plupart des genres
littéraires pour les subvertir, les détourner. J’ai toujours admiré son
extraordinaire capacité à inventer et à faire fonctionner des
« agencements textuels » nouveaux. Il regardait cependant la
littérature du passé (Montaigne comme Jules Verne, Flaubert comme Hugo, etc)
mais pour y jeter un oeil neuf et malicieux. Honte à l’université française qui
ne sut pas l’accueillir ! Honte au Ministère de la Culture qui ignore
qu’il fut Prix Renaudot avec La
Modification – et non La
Consolidation !
Il
s’est toujours tenu « à l’écart » (nom de sa maison-bibliothèque-atelier
à Lucinges en Haute-Savoie) des mondanités, des honneurs comme des
compromissions. Pleinement dans son œuvre, il a tenté des greffes, jeté des
ponts multiples vers les arts plastiques, la musique, l’opéra, la radio, etc.
De
lui, je retiendrai surtout ses grands livres « inclassables »
magnifiquement mis en espace par Massin chez Gallimard : Mobile (1962), Boomerang (1978), Gyroscope (1996).
Livres expérimentaux, encyclopédiques, ouverts sur le monde, ils constituent de
puissants pôles d’inspiration pour ce que j’essaie d’écrire.
Un week-end en mai
2002
Betty
Buffington, qui l’avait connu à la grande époque du Club Français du Livre,
l’invita à exposer quelques-uns de ses amis peintres (Jiri Kolar, Gregory
Masurovsky, Claude Viallat, Georges Badin, etc) à la Maison Zervos de la
Goulotte (Vézelay). C’est ainsi que je passai un week-end avec lui et Marie-Jo,
son épouse (disparue en 2010), week-end chargé mais cependant
extraordinairement léger. Une foule
énorme au vernissage du samedi soir, un public passionné, conquis par notre riche
dialogue du dimanche matin. Simone Galtier le fit citoyen d’honneur de Vézelay.
On
n’en resta bien sûr pas là. Butor réalisa avec Gregory Masurovsky une estampe
manuscrite (16 exemplaires) : « La Basilique au retour ». En
voici les derniers vers :
nous
avons décidé d’offrir à la Madeleine
toutes
les coquilles que nous avions glanées
au
long des grèves et des chemins
afin
de réaliser des reliure de nacre
pour
envelopper son apocalypse
L’année
suivante, l’Association « Fondation Zervos » exposait des dessins et
des gravures de Gregory Masurovsky, américain de Paris, son ami et son complice
depuis quatre décennies.
La
mort ne défait pas complètement cette chaîne de l’amitié fondée sur « le
dialogue des arts ».